Les freinectomies, opérations consistant à couper les freins de langue trop courts chez les nourrissons, se multiplient en France. Au point de poser question…
C’est une membrane toute fine sous la langue. Quelques centimètres à peine qui enflamment la toile et la communauté médicale. Rarement, “les freins de langue” avaient autant fait parler d’eux… Mais depuis quand sont ils un sujet ? “Depuis toujours” répond Cécile Boscher, pédiatre à la maternité du CHU de Nantes et responsable médicale du lactarium. « On raconte même que chez les Bourbons, les enfants avaient tous des freins courts qui massacraient les seins des nounous » appuie le Docteur Isabelle Brintet, pédiatre en maternité à Lormont.
Pour être clair, un frein est qualifié de restrictif quand il limite la mobilité de la langue, ce qui pourrait induire des difficultés à l’allaitement. “Historiquement, c’était l’affaire des sages-femmes, en maternité. Elles mettaient un coup d’ongle, quand le frein gênait le nouveau-né au sein » expose Cécile Boscher. Un geste qui passait inaperçu. Puis les pédiatres ont pris le relais avec tout autant de discrétion. “Mais l’habitude s’est perdue, le geste aussi.”
Circoncision linguale
C’est là que l’affaire se complique. En clair, “comme les pédiatres ont désinvesti le sujet, d’autres professions se sont engouffrées dans la brèche”, poursuit le médecin. D’autant qu’un mouvement venu des États-Unis franchit l’Atlantique, avec une vision très “business”. De fait, le créneau serait « très rentable pour les libéraux », regrette le Docteur Boscher. « Des Cliniques pluridisciplinaires dédiées au frein de langue ont même vu le jour. » pointe la nantaise, dénonçant un “excès de prise en charge, des soins inadaptés, coûteux, avec parfois des nourrissons hospitalisés parce qu’ils ont arrêté de manger après des interventions douloureuses.” “Depuis une dizaine d’années, de plus en plus de bébés allaités et leurs parents sont devenus les victimes d’une épidémie de freins buccaux restrictifs », écrit la pédiatre Gisèle Gremo-Féger dans un article écrit en janvier 2021 sur le site connaitre.net. Le magazine « Médecine et Enfance » qualifie même le phénomène de « circoncision linguale ».
Sonnette d’alarme
Suffisamment inquiétant pour que le CHU de Nantes tire la sonnette d’alarme auprès des autorités de santé. Notamment pour s’insurger contre les « pratiques invasives de rééducation postopératoires. On demande à la maman de tirer la langue de son bébé jusqu’à huit fois par jour ! » poursuit Cécile Boscher pour qui « cela relève de la maltraitance et devrait être interdit ». « Tous les maux de la terre sont désormais sur le dos du frein de langue, régurgitation, coliques, troubles du langage, torticolis, zozotement, reflux gastrique, etc. » Et ce “contre toute preuve scientifique”, souligne-t-elle.
Pour Cécile Boscher, il est urgent de « désamorcer les croyances ». En attendant, peut-être, une mention dans le carnet de santé, la société française de pédiatrie veut lancer un groupe de travail sur le sujet des freins restrictifs, à l’automne. Objectif : « Mener les études les plus scientifiques possibles et émettre des recommandations officielles. » Mais surtout revenir à une approche raisonnée. »
Faire le point
C’est aussi la position du Dr Brintet à Lormont : après s’être intéressée de près aux freins, elle a constaté que le sujet prenait trop d’ampleur au sein de sa patientèle, suscitant plus de stress que de sérénité. “Cela peut être un problème mais en aucun cas, il ne s’agit d’un diagnostic d’urgence” conclut-elle, se félicitant du mouvement national. « Il faut ce qui est en train de se passer, savoir si la prise en charge est légitime, légale, abusive », cruciale pour « pouvoir se situer, en tant que médecin, sans laisser le patient perdu entre la déshérence ou une prise en charge trop musclée, physiquement, financièrement et moralement ». Le Dr Brintet évoque aussi un « possible facteur épigénétique lié à l’environnement, qui pourrait expliquer cette épidémie de freins courts ». Elle appelle à un “point global sur les troubles oro-myo-faciaux : par exemple des problèmes d’apnée du sommeil chez l’enfant. Le frein n’est pas le seul paramètre”. “Ces histoires de frein ont mis en lumière la problématique plus générale du trouble orofacial myofonctionnel” ajoute Noëlla Rajonson, chirugienne-dentiste à Villandraut (33). “En fonction de l’utilisation que l’on fait des muscles de la bouche et du pharynx, peuvent survenir des problèmes de malocclusion, ronflement, bruxisme, mastication bruyante, bouche ouverte au repos, déglutition atypique, zozotement, etc. Et ce, à tous les âges, y compris chez les adultes. » Vous ne tirerez plus jamais la langue de la même façon…
Source : Sud Ouest du 13 septembre 2021| Par Aude Ferbos
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Article fort intéressant mais comme souvent on parle de la frénotomie et on oublie de parler de la physiologie et de la physiopathologie de la langue. Le frein fait partie de la langue. Des professionnels formés aux problématiques de la langue, Ostéopathes, Chiropracteurs , Kinésithérapeutes, Kinésithérapeutes spécialisés en rééducation sub maxillaire, Orthophonistes, Sages femmes, consultante en lactation se partagent la prise en charge de la langue et de son environnement comme en parle le Docteur Rajonson dans l’article.Evaluer cette fonction dés la naissance est fondamental et cela ne conduit pas à une vision binaire (on coupe ou on coupe pas) Cette prise en charge est bien plus subtile. Elle concerne de nombreuses fonctions comme la succion, la ventilation, la déglutition, la mastication et la posture et les conséquences d’un manque ou d’un mauvaise mobilité de langue auront un impact sur les fonctions allaitement, orl, poussées dentaires, Maxillaires , occlusion, ATM, comportement(bb agité).
Quand un ostéopathe reçoit en post naissance immédiat, s’il est formé, est à même d’évaluer ces dysfonctions comme je le développe dans mes formations. Nous en parlons avec Caroline Cressens, Ostéopathe et spécialiste des questions d’allaitement en visio disponible ici en replay.